ANALYSE ALTERNANCE DEMOCRATIQUE

L’alternance démocratique hypothéquée en Afrique

Quel remède à la « mal élection ? »
C’est de la vérité de La palisse : les Chefs d’Etat en Afrique gagnent toujours les élections qu’ils organisent ; la victoire est d’autant plus assurée qu’ils ont longtemps duré au pouvoir. Fraude ? Achat de conscience ? Immaturité politique des électeurs ? le pouvoir change rarement de main en Afrique.
La persistance du statu quo au sommet de l’Etat favorise la constitution de clans d’intérêts qui finissent par s’approprier des biens de la nation comme leurs patrimoines propres, aux dépens des populations.
A quoi servent donc les élections si couteuses en devises et en vies humaines à nos Etats si c’était pour protéger indéfiniment la concentration du pouvoir par un clan au détriment de l’alternance, ferment de la démocratie ?

Le pouvoir change rarement de main en Afrique, un fait qui explique l’absence d’alternance au sommet de l’Etat mais aussi le problème de gouvernance car le pouvoir use et corrompt. Le scénario des élections en Afrique est classique : le Président sortant est réélu souvent dès le premier tour, et les candidats adverses crient à la fraude, à un coup d’Etat à la démocratie.
C’est à ce scénario devenu désormais rituel qu’on a assisté au Congo Brazzaville avec la réélection de Dénis Sassou Nguesso, en Mauritanie avec la victoire du Général putschiste Mohamed Ould Abdel Aziz.

Au Niger, le Général Mamadou Tandja a contre vents et marées, organisé et gagné son référendum lui ouvrant la voie à rester longtemps au pouvoir, s’il aient été évincé par l’armée. A la lumière de ces exemples, il est évident qu’en Afrique, la ‘’faim’’ du pouvoir est plus tenace qu’ailleurs et une fois qu’on l’obtient, il n’est plus question de le lâcher. Peu de dirigeants souffrent le martyr de consentir à l’alternance. Cette alternance, aujourd’hui est devenue un impératif comme pour « essayer » de nouvelles compétences au sommet de l’Etat.     L’Afrique est toujours restée un champ d’expérimentation des acteurs et stratégies de son développement. Et une chose est sûre : la longévité au pouvoir est devenue une compétition continentale à laquelle peu de gouvernants sont insensibles.Beaucoup de Chefs d’Etats totalisent plus d’une décennie d’années d’exercice du pouvoir et ne sont pas prêts à s’en déposséder, même pas en faveur du dauphin pressenti. Or, la longévité du régime ne rime pas toujours avec l’amélioration de la qualité de vie des populations qui est le but ultime de tout gouvernement.

Au contraire, la longue concentration du pouvoir dans les mains d’une personne ou d’un groupe d’intérêt favorise la main mise sur les richesses du pays, l’opacité dans la gestion, le développement du clientélisme et de réseaux d’affairisme, bref des maux qui minent l’essor du continent.Conscients de la perversité des régimes à vie, les législateurs ont introduit dans les Constitutions des différents pays, lors printemps de la démocratie des années 90, la limitation en durée et en nombre des mandats présidentiels. L’effet est de favoriser le jeu démocratique de rendre l’exercice du pouvoir plutôt dynamique que statique, plus citoyen que personnel. Mais très vite, des dirigeants réfractaires au partage du pouvoir et à la démocratie – imposée d’ailleurs par les bailleurs de fonds ont remis en cause la limitation des mandats présidentiels. C’est ainsi que certains dirigeants qui se sentaient empêchés par des dispositions constitutionnelles de s’éterniser au pouvoir se sont toujours mis à tripatouiller la Constitution pour prolonger ou renouveler leur mandat. Il faut noter que ces dernières années, il ne se compte plus sur les doigts les Chefs d’Etat africains qui ont amendé la constitution pour rester au pouvoir en supprimant la limitation du nombre de mandats présidentiels. La dernière en date et qui a fait grand bruit est le cas du Niger.

Contre vents et marées, l’ancien Président Mamadou Tandja a dû dissoudre la Cour constitutionnelle, des institutions de la République, pour pouvoir organiser référendum sur la modification de la modification de la Constitution. Le Burkina Faso envisage aussi la modification de sa loi fondamentale.
On comprend donc que la grave entrave à la présidence à vie, c’est de ne pouvoir se présenter aux élections autant que l’on peut et que l’on veut. Quand à la victoire des urnes, tout porte à croire qu’il s’agit d’un jeu d’enfant. D’ailleurs, en Afrique, organise-t-on des élections pour les perdre ?

Des potentialités à s’éterniser au pouvoir par… les urnes .

C’est un constat : le gouvernement qui organise une élection a plus de chances de l’emporter.
C’est aussi classique que les perdants prennent le pavé pour crier aux fraudes, à l’achat de conscience, à la manipulation des résultats des urnes. Ces accusations sont fondées dans certains cas. Mais il y a d’autres faits qui contribuent à la victoire du pouvoir en place.
Il s’agit de réactions sociétales qui influencent le choix de l’électeur en faveur du candidat, des volets qui tiennent plus à la personnalité du candidat qu’à son programme de société. On convient que dans nos Etats, et surtout en zone rurale, la masse des analphabètes est importante. Pour ces électeurs illettrés, l’enjeu des scrutins pour lesquels on sollicite leurs suffrages se limite aux choix d’un homme pour une place donnée.

On assiste volontiers aux meetings de campagne, surtout pour le spectacle ou les teeshirts et enveloppes à distribuer que pour le message politique. Message politique avez- vous dit ? Non, il s’agit de la même rengaine dont tous les candidats de tous bords leur rabattent les oreilles au fil des années : « on vous construira des marché, des hôpitaux, vous aurez une route goudronnée ». Même ceux qu’on croit les plus ignorants ne sont pas dupes de ces promesses fallacieuses . Et le plus comique, c’est quand le Chef de l’Etat candidat à sa propre succession se surprend de plaindre ses électeurs qu’ils n’ont pas de routes ni de ponts ou de dispensaires et que tout se réaliserait s’il est réélu !!! Qu’à cela ne tienne.Le candidat a de fortes chances d’être élu, mais pas forcément sur la base de ces promesses démagogiques. Beaucoup d’électeurs votent pour les hommes que pour les projets.Le vote régionaliste est aussi un fait connu en Afrique.

Les électeurs accordent volontiers leur voix aux représentants de leur région qui font figure de défenseurs de leur cause au sein de l’appareil étatique. Il y a aussi ce sentiment de devoir moral par lequel ne pas voter pour « un frère » serait considéré comme une trahison.Selon certains spécialistes, des considérations d’appartenance régionale, ethnique ou religieuse influencent le vote des électeurs.
Mais les Chefs d’Etats, généralement réélus peuvent émaner d’ethnies minoritaires comme feu Président Omar Bongo Odimba du Gabon, Mamadou Tandja du Niger, élu. Ce n’est donc pas toujours les voix par affinité régionale ou politique qui font gagner les Chefs d’Etats à presque tous les coups.Il y a aussi cet effet de personnalisation du pouvoir central et de l’Etat, par conséquent, l’abus qu’on en fait.
En Afrique, la puissance publique se résume en la personne du chef de l’Etat et non aux institutions de la République que le tenant du pouvoir peut balayer d’un revers de la main.

Récemment, lorsque l’ancien Président Tandja du Niger a voulu organiser envers et contre tous, un référendum prolongeant son mandat, aucune institution n’a résisté à sa volonté. S’arrogeant des pouvoirs exceptionnels pour gouverner seul par décrets et ordonnances, Tandja a dissous la Parlement et la Cour constitutionnelle qui ont jugé le référendum illégal.
« Légitime maître » des biens publics, le candidat à sa propre succession de l’Etat, (voitures, carburants, agents administratifs et autre biens de la nation) pour gagner « facilement » les élections dans ces conditions les citoyens deviennent, malgré eux des faiseurs de rois, des souverains qu’ils aident à s’éterniser au pouvoir par un curieux mélange de la culture traditionnelle et de la politique moderne. En Afrique,nos rois traditionnels ne régnaient-ils pas àvie ?

Et si Jacques Chirac avait raison d’avoir prédit que « l’Afrique n’est pas mure pour la démocratie ? » Il est certes vrai que la démocratie n’est pas du placage mais un long apprentissage qui s’affine au fil du temps. Dire que l’Afrique n’est pas prête pour la démocratie est une « vérité » exagérée, déplacée.
La France, après la proclamation de la République a mis plus d’un siècle pour reconnaitre aux femmes le droit de voter. L’avenir de la démocratie en Afrique, la tenue d’élections qui ont un sens, parce qu’exprimant le vrai choix du peuple, économes des contestations et violences, dépendent d’un changement de mentalité, d’une vision nouvelle pour la démocratie et la bonne gouvernance.D’abord, le poste de magistrature suprême doit être considéré comme un sacerdoce pour se mettre au service du peuple enveillant au bon fonctionnement des institutions de la République.

Le Chef d’Etat n’a pas un pouvoir de droit d’user : il est redevable du peuple qui l’a élu. En tant que premier gérant de la chose publique, obligation est faite aux premiers responsables d’un usage honnête et transparent du patrimoine dont la gestion leur est confiée. Les Africains doivent par ailleurs dépasser les notions de clan, d’ethnie ou de région pour considérer leurs concitoyens comme d’autres membres à part entière de la nation.Ainsi donc, dans la distribution des richesses, dans le choix des élus, n’interviendront que les valeurs intrinsèques de l’individu et non de son origine ethnique… L’Afrique a beaucoup à apprendre de la démocratie.

Kossi Khouto

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