BENIN : QUAND COOPTATION «flirte» AVEC DEMOCRATIE ….Une formule conceptrice de bonne gouvernance ?

La Conférence des Forces Vives de la Nation qui s’est tenue en Février 1990 au Bénin a posé les bases concrètes d’une
démocratie en dotant le pays d’instruments de gestion susceptibles d’assurer sa santé politique dans de meilleures conditions. Ce fut l’éveil d’un nationalisme triomphant
regroupant près de 500 membres représentatifs du Peuple
entier qui condamna l’anarchie orchestrée en dix-sept ans de révolution militaro-marxiste. Il s’agissait de rétablir l’ordre
socio-politique compromis et la manifestation obtint l’approbation populaire, les Béninois se vantant d’avoir
« vaincu la fatalité», mais par ailleurs, elle servit de détonateur aux revendications politiques en veilleuse dans bon nombre de pays africains et les détermina à emboîter le pas à l’ingénieuse inspiration béninoise qui conduisit savamment aux sources exaltantes de la démocratie. Dès lors, nos citoyens se font gloire d’avoir merveilleusement perçu les mécanismes réels de ce nouveau mode de gouvernement d’autant qu’à l’étranger, on tarit d’éloges pour le Bénin d’avoir été le principal initiateur du mouvement démocratique de l’Afrique contemporaine.

Or on ne ressentit véritablement l’effet de ce «miracle» qu’après le premier mandat quinquennal du Président Nicéphore D. Soglo déjà conduit au poste de Premier ministre par l’Assemblée des Conférenciers de Février 1990. Sa détermination comme candidat à un second mandat entraîna la cooptationd’un homme spécifiquement désigné par la masse des électeurs. Le phénomène semble bouleverser les principes de la légalité électorale. Dans quelle mesure cooptation et démocratie peuvent-elles faire bon ménage ? Elire d’avance un candidat coopté par des électeurs autorise-t-il à parler sincèrement de démocratie ? Constatant que le système semble se perpétuer dans les moeurs béninoises, le flirt cooptation-démocratie laisse-t-il présager à l’avenir les normes d’une bonne gouvernance ?

Cooptation et Démocratie,un curieux flirt

La définition classique de la notion de démocratie confère le pouvoir au peuple. La formule caractéristique consacrée y sert de référence. «Le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple». Elle atteste son absolutisme, sa souveraineté dans ce mode de gouvernement. Mais le Professeur Maurice Duverger, Constitutionnaliste français de renom disait qu’il n’y a jamais eu nulle part de démocratie telle qu’on la définit. Elle prend tout son sens dans la distinction qu’on fait entre la démocratie directe où le peuple exerce la souveraineté lui-même sans l’intermédiaire d’un organe représentatif et la démocratie représentative où la souveraineté est exercée par des représentants interposés. Dans la Grèce antique, pays initiateur de la démocratie, le peuple entier ne participait pas à la désignation des élus : les femmes, les enfants, les esclaves étaient exclus du droit de vote. En fait, l’évolution subie par les sociétés permettra d’étendre ce droit à des citoyens ayant atteint leur majorité. Ils voteront pour les candidats de leur choix ou selon leurs préférences idéologiques. Eu égard à ces diverses modalités, désigner d’avance au niveau national un candidat censé représenter le peuple deux ou trois ans avant l’échéance prévue par la loi fondamentale pour l’élection d’un nouveau dirigeant interpelle à bien des égards, la sociologie politique.Aussi au Bénin, depuis près d’une quinzaine d’années, désigne-t-on comme candidat aux futures élections à la magistrature suprême un homme choisi à dessein par des clans d’opposants au régime en cours.

La propagande gratuite le grandit aux yeux de l’opinion publique et le marque du sceau d’une popularité croissante tacitement décrétée par une partie de la société qui veut le voir coiffé à tout prix de la couronne présidentielle. Ce nouveau schéma de pensée qui avait fait irruption dans la vie politique béninoise s’apparenterait mieux à une cooptation qu’à une démocratie. Réduire l’une à l’autre serait pure hérésie.

Tout le problème revient à se demander si l’élection anticipée d’un coopté aspirant au pouvoir revêt une valeur démocratique du fait que la loi du grand nombre joue en sa faveur. Dans quelle mesure elle emporte la bonne foi, la conviction morale des cooptants à lui accorder un vote de confiance augurant que l’élu remplira efficacement sa mission de Chef d’Etat ? La relation censée les unir prend le caractère d’un «flirt» c’est-à-dire d’une relation de bon voisinage passagère ou un rapprochement momentané entre adversaires idéologiques ou politiques.
Le numéro 1927 du journal «le Point» du 20 Août 2009 nous en donne un exemple patent. Un article titré en gras «Sarkozy est-il de gauche» ? parait révélateur du flirt qu’entretient actuellement le Chef de l’Etat français, un homme de droite avec la gauche : «Le Président, écrit l’auteur de l’article, emprunte à la gauche ses mots, ses idées, cite ses références. Quand il parle stratégie, c’est Mitterrand qu’il cite en exemple ». Ce faisant, il «asphyxie l’opposition», réussit à «priver le Parti Socialiste de ses soutiens traditionnels». Sa secrétaire d’Etat à la politique de la ville, Fadela Amara révèle que « le fait de rompre avec les pratiques conservatrices de la droite, d’obliger la majorité à être dans le mouvement et d’aborder des thèmes sociétaux a affaibli la gauche ». On dira ainsi que la droite sarkozienne flirte avec la gauche. C’est donc par simple souci de changement de politique propre à la droite elle-même que Sarkozy en flirtant stratégiquement avec la gauche l’a affaiblie.
Si l’on s’en tient aux propos de Fadela Amara recueillis dans l’organe de presse précité «Je pense que le Président Sarkozy Président de la République Française est avant tout un homme de changement et de mouvement», on est tenté de se demander comment le Président français incarne le changement. La réponse à cette question est contenue dans l’interview dela secrétaire F. Amara : « En défendant des thèmes traditionnellement considérés comme de gauche (le droit de vote des immigrés, l’homoparentalité, la lutte contre les discriminations…) il fait bouger les lignes ». Sarkozy a ainsi inversé les tendances idéologiques. Il a flirté c’est-à-dire s’est rapproché momentanément de ses adversaires idéologiques et politiques. Il a renversé la vapeur. C’est là que s’est opéré le changement et F. Amara en a conclu à travers le reproche qu’elle fait à sa «famille politique de n’avoir pas eu le courage de faire en 14 ans ce que Sarkozy a fait» et qui montre aujourd’hui que « C’est le PS qui est devenu synonyme de conservatisme dans ce pays » au lieu de l’UMP la droite qui l’était.Vu sous l’angle de la politique sarkozienne, le changement suggère le flirt des idéologies : la droite flirte avec la gauche pour en tirer l’essentiel des idées politiques qui attirent la foule de ses membres et de nouveaux adhérents.

En Afrique, les Chefs d’Etats qui se succèdent à la tête de l’Etat mobilisent les peuples sur la base de la notion de changement, lequel changement sensibilise les esprits autour du cuisant problème du sous-développement et de la moralisation de la vie publique favorable à l’euphorie existentielle de la société. L’accessibilité à l’éducation civique, la lutte contre la concussion, la gabegie, le péculat, la corruption s’avèrent nécessaires pour la réorganisation sociale, but fondamental de la science politique. Cela ne veut pas dire que ces problèmes ne se posent pas aux autres pays du monde qui se positionnent comme étant les plus avancés ou les plus développés. Le même problème de l’organisation sociale se pose à un autre échelon où ces pays tentent de proportionner les moyens aux buts pour obtenir le maximum de bien-être à la plupart des membres de leurs sociétés. Mais y parviennent-ils toujours ? On pourrait le croire si depuis l’accession des pays africains à l’indépendance, les anciennes puissances coloniales avaient cessé d’avoir un droit de regard intéressé sur eux.
L’originalité du cas béninois réside dans le fait que le caractère momentané du flirt n’apparaît que lorsque le coopté une fois parvenu au pouvoir ne réussit pas à satisfaire les aspirations des cooptants qui l’ont aidé à gravir les marches du palais présidentiel. Que ce dernier ait scrupuleusement respecté les principes du changement ou les règles du jeu démocratique, ses adversaires politiques n’en ont cure. Ils s’érigent en habiles détracteurs pour l’évincer du pouvoir parfois même avant la fin de son mandat.

La cooptation ou la «shadow democracy» (la démocratie fantôme)

Pour peu qu’on veuille éclaircir davantage le concept de cooptation tel qu’il apparaît dans le contexte politique béninois actuel, on se demande s’il ne se confond pas dans la pensée des cooptants avec la démocratie, le gouvernement du peuple par le peuple puisqu’avant tout, c’est une coalition des gens du peuple, des membres des partis politiques commués en une masse d’électeurs qui prend la décision d’élever le candidat coopté au rang d’un Chef d’Etat.
Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire de ce pays, on retrouve chez ses ressortissants les traces d’une force de caractère empreinte d’indiscipline et de dissidence naturellement liées au tempérament dahoméen. «Dans un ouvrage paru dans les années 80, «L’Afrique aux Africains», Pierre Biarnès disait qu’à l’époque coloniale, les gouverneurs et les administrateurs des colonies demandaient à accomplir leur mission au Dahomey, pays très accueillant, mais qu’ils ne parvenaient jamais au terme de leur mandat, réclamant leur retour inopiné en métropole. Il en conclut que «ce pays est ingouvernable» ! Dans un autre ouvrage, «l’oiseau sorcier», Guy Georgy, ancien ambassadeur de France au Dahomey affirmait que tous les deux ans, les dahoméens réclamaient le rapatriement en France des gouverneurs de la Colonie du Dahomey. Ils se rendaient eux-mêmes au ministère des colonies, Rue Oudinot à Paris et exigeaient le départ de tel gouverneur après deux ans de services rendus à la Colonie au nom de la métropole si bien qu’en 43 ans, les Dahoméens avaient renvoyé 21 gouverneurs du Dahomey.
Ainsi n’est-on pas tenté de considérer la cooptation, phénomène politique observé près de ces quinze dernières années comme un mode de comportement lié à l’hérédité congénitale des Dahoméens ? La lassitude déguisée apparemment anodine et désintéressée de ne point supporter de voir des dirigeants cooptés parvenir au terme de leur mandat traduit-elle une tendance rebelle propice à l’anarchie (prise au sens étymologique du terme comme une société sans tête) ? Le peuple accepte au départ le Chef et au bout d’un certain temps il résilie le contrat de confiance sociale qui l’unit à lui. Si la notion de Chef gêne ou indispose naturellement le Béninois, cette prédisposition fait de lui un anarchiste. Or il ne peut être anarchiste et prôner la démocratie. C’est une ambivalence qu’on retrouve dans un mode de comportement qui lui est familier : il est naturellement jaloux de son prochain et se dit ami du progrès tant il recherche l’émulation qui en est le facteur décisif voire fondamental.

A cet égard paraît peu pertinente l’allégation de Monique Sordet comparant les rivalités intestines qui minaient les Dahoméens aux querelles belliqueuses qui entraînèrent des hostilités dévastatrices entre Sparte et la Péloponnèse, ce qui laisse entrevoir chez eux une tendance fort accusée de démocratie de type grec. Mais en vérité les Grecs reconnaissaient au moins aux démocrates la vertu des grandes réalisations effectuées pour le compte de la Cité. Ceux qui s’écartaient de la loi démocratique et en quête d’un pouvoir personnel ou tyrannique étaient frappés d’ostracisme et mis au ban de la société perdant leurs droits civiques et politiques.

Sans doute, l’histoire de la résistance des premiers Dahoméens témoins de la conquête de leur pays ou qui accédèrent à l’instruction dans les premiers temps de la colonisation a montré leur ardeur combative à l’accomplissement de la mission qu’ils s’étaient fixée de développer le Dahomey. Si dans les années 30, le gouverneur Général de Dakar fit avorter leur noble projet de développement en détruisant la constitution d’un gigantesque grenier à ressources d’Allada, il est plausible de les créditer d’une vocation de démocratisation conforme à la voie de développement tracée.
Mais le contraste entre générations paraît ici frappant parce que le contexte politique différait l’une de l’autre : les anciens combattaient un adversaire commun : l’occupant qui leur inculqua l’assimilation des valeurs occidentales et ils avaient surtout la chance d’avoir rencontré sur leur chemin des hommes de bonne volonté décidés à développer leur pays, comme ce fut le cas du gouverneur. Reste que la France détourna de son élogieuse mission au Dahomey. Leurs descendants béninois se flattent d’avoir accédé à l’indépendance et se livrent à travers le phénomène de la cooptation à la pratique d’une démocratie fantôme (shadow democracy). Ils ne tiennent guère compte ni du respect des engagements pris par leurs dirigeants démocratiquement élus ni des travaux réalisés durant ou même bien avant la fin de leur mandat.

De 1996 à 2006 deux Présidents de la République du Bénin ont été cooptés par la masse des électeurs : Mathieu kérékou et Thomas Boni Yayi, le premier s’étant succédé à lui-même en 1996 et 2001, le second élu en 2006, actuellement en plein exercice de ses fonctions présidentielles. Le premier cas n’avait pas manqué de surprendre plus d’un observateur politique.

Car Mathieu Kérékou Ancien Président de la République du Bénin revint au pouvoir six ans après son repos du guerrier et d’effacement de la vie politique, relâché, débouté et désapprouvé par le peuple. Il fut cependant reconduit en 2001 pour un mandat quinquennal, se vantant en pleine campagne électorale d’être le «maître politicien qui veut donner des leçons à ses élèves» moins mûrs politiquement que lui». C’eût été à Athènes du temps de Clisthène, le fondateur de la démocratie grecque que l’ostracisme eût mis fin à ce théâtre. Jamais aucun de ses mages, s’il y en avait eu dès son enfance qui lui eût prédit l’avenir florissant d’un Chef d’Etat aussi capricieux, ne pourrait confirmer sans embarras l’espérance de ses aventures politiques. Et si en politique, on pouvait effacer d’un seul coup de gomme dix-sept années d’histoire au cours desquelles un homme chargé du destin d’une nation avait professé une idéologie dont il reconnaîtra plus tard n’avoir jamais perçu ni les fondements ni la teneur, dix-sept années durant lesquelles il s’était amusé avec la vie d’un peuple pour être encore réélu à la tête de l’Etat, cela nepouvait donner matière à réflexion qu’à ses concitoyens sur le degré de perception exacte du type ou de la nature de la démocratie qu’ils entendaient promouvoir dans leur pays.
Coopté par la classe politique béninoise entière, Kérékou reprit le pouvoir en 1996 désigné comme un «rassembleur». En avait-il le génie avant d’être vomi par le peuple six ans plus tôt ? Ses électeurs n’en tinrent guère compte. Il fut décrété «rassembleur en dépit de ses turpitudes passées». Ses cooptants prétendaient-ils sincèrement qu’au cours de son mandat quinquennal, Soglo avait commis plus que son concurrent coopté de graves exactions, des erreurs et des égarements commués en «affaires» (affaire Kovacs, affaire Cissé, affaire Aïkpé, la faillite d’une idéologie aventurière, la défaite d’une révolution bâtarde etc.…) ?
Malgré les flagorneries dont on l’affuble encore, il se profilait derrière toutes ces affaires l’ombre d’un homme angoissé en mal de gouverner parce que peu préparé à assurer la gestion de la chose publique. En vérité, Kérékou fut un accident dans la vie
politique des Béninois, un dirigeant surgi au hasard des méandres d’un putsch militaire dont il ne pouvait d’ailleurs réclamer la paternité. Son seul mérite était de reconnaître la fourberie de ses compatriotes qu’il poussait son cynisme à opposer les uns contre les autres pour se donner une pérennité à la tête de l’Etat. La fascination immodérée de ses admirateurs dénotait chez eux une tendance masochiste relative à une forme d’immaturité politique qui ne cadrait guère avec l’aspiration à l’égalité du peuple en quête de sa destinée démocratique.
Mais l’activisme des cooptants de Kérékou en 1996, tous Chefs de partis politiques déjà présents à la Conférence Nationale de Février 1990 ne remettait-il pas en cause les données, les résultats concluants de ladite Conférence qu’ils applaudirent si vivement sous l’inspiration féconde d’Albert Tévoèdjrè qui en fut le rapporteur redevenu en si peu de temps le Chef de file de la cabale qui réclama le retour inopiné de l’idéologue déchu ? De quels forfaits impardonnables Nicéphore Soglo fut-il redevable aux yeux de ses détracteurs ?
Si ses admirateurs virent en lui l’initiateur des grands travaux urbains, l’entrepreneur qui rêvait de transformer le marché de Cotonou où circulent tous les cinq jours d’énormes capitaux en celui de Hong-Kong pour l’Afrique Subsaharienne, l’homme soucieux du problème du chômage et de l’avenir des jeunes etc.… Ses adversaires le jugeaient introverti, peu expansif, caractère que les Béninois considèrent comme une attitude d’orgueil et de mépris et condamnaient aussi son oligarchie qui consistait à faire de la politique une affaire de famille : papa, maman, enfants et beau-frère etc.… Ce n’était pas de la démocratie mais une forme d’égocentrisme ou d’individualisme effréné qui entraînait la négligence de ses concitoyens à son égard.

Pour parler sans fard, Soglo avait mené une lutte ardue sur trois fronts pour tenter de se maintenir au pouvoir avant d’y être évincé. A l’intérieur il lui fallait affronter la cabale des ambitieux déçus du pouvoir. Chacun des cooptants du candidat proposé dit «rassembleur», Président ou membre influent d’un parti politique avait son intérêt particulier à défendre ou à faire prévaloir. En fait, tous convoitaient la Présidence de la République à l’exception de ceux que la Constitution privait du droit d’en être candidat, car on ignorait l’intérêt national qui unissait tout d’un coup Albert Tévoèdjrè, Adrien Houngbédji, Bruno Amoussou, Sévérin Adjovi, Moïse Mensah, Emile Derlin Zinsou, Monseigneur Isidore de Souza etc.… qui rêvait d’être Président de la République, qui lui reprochait d’être débouté d’accéder à un poste ministériel, qui désapprouvait sa perfidie de n’avoir pas tenu promesse de lui céder sa place pour la présidentielle de 1991, une sorte de feuilleton Chirac-Balladur aux élections de 1995 en France, qui voulait rester dans les bonnes grâces du Président français pour conserver son poste de Président de la francophonie, qui usait de son rôle d’ex-modérateur ou de médiateur pour engager avec lui un conflit d’influence etc.…
A l’extérieur, il reçut de plein fouet le vent de la rébellion qui soufflait contre son régime.

Il venait d’abord de l’Est où le Président du Nigéria, Sanni Abacha ne pouvait pas longtemps supporter l’impudence de son homologue Béninois Nicéphore D. Soglo de ne point céder à ses sollicitations intempestives comme par exemple l’extradition de l’écrivain nigérian Wole Soyinka, jouissant pleinement de son droit d’asile au Bénin. Le Chef d’Etat nigérian lui réclamait sa tête pour étancher sa soif tyrannique. Refus catégorique du Président Soglo qui objectait que son pays était en pleine mutation démocratique et qu’il garantit aux écrivains la liberté d’expression d’autant que Wole Soyinka, de surcroît seul écrivain africain à avoir obtenu le prix Nobel de littérature devrait jouir d’une célébrité spéciale. De ce fait, Nicéphore D. Soglo ne saurait valablement répondre de sa disparition ignominieuse devant l’opinion internationale. Abacha rechigna et en retour lui reprocha de fréquenter des personnalités influentes de la Banque Mondiale qui étaient de ses amis, lui suggérant de les éviter. Le Président béninois rejeta alors la recommandation qui tendait à le reléguer au rang d’un vassal du «roi» Abacha qui proféra des menaces d’invasion de la région frontalière orientale du Bénin.Sur le front Ouest, Soglo fera face à la haine que cultivait le Président togolais Gnassingbé Eyadema à l’égard d’un Chef d’Etat légitimement élu (et conformément aux normes démocratiques) contrairement à la règle électorale frauduleuse en vigueur au Togo. Son inimitié pour Soglo en valait bien la peine pour autant qu’un haut cadresorti fraîchement des urnes enguirlandées de démocratie prônait la légalité politique aux confins de la frontière d’un pays dont le dirigeant accusait une carence incontestable en matière de politique et des droits de l’homme. Son homologue béninois ne venait pas du Nord-Bénin pour qu’il pût nouer avec lui l’alliance de la fraternité militaro-nordiste mais sa présence internationalement attestée au pouvoir d’un pays voisin mettait à nu le complexe de son inculture politique hautement caractérisée reconnue dans la sous-région.
La troisième approche du combat que le Président Soglo livra pour défendre son siège au palais présidentiel l’opposa à un adversaire clandestin dont le concours fut déterminant pour son éviction du pouvoir : le coup de pouce de Jacques Chirac, Chef d’un réseau françafricain. On sait qu’en 1990 où se tenait la Conférence Nationale à Cotonou, J. Chirac n’était pas encore le Chef de l’Etat français mais le maire de la ville de Paris et que de Bouaké où il présida le Congrès des maires de Côte-d’Ivoire, il lança sa célèbre diatribe contre la démocratie africaine : « C’est un luxe que les pays sous-développés ne sauraient s’offrir »

Avec les pays européens, tout est permis, mais démocratiser l’Afrique était pour un homme de droite comme lui, l’élever à un niveau de politisation qui empêcherait la France d’imposer sur elle sa mainmise totale. Or la vision politique du Président Soglo revêtait à ses yeux un élément non négligeable de la politique américaine qui lui permettait d’étendre la zone d’influence du Pentagone sur un continent considéré comme la chasse-gardée de l’Hexagone français.D’autre part, on sait que J. Chirac était l’un des membres influents de la Françafrique dont il récupéra le réseau foccartien que Giscard D’Estaing avait limogé. De la sorte, on tenta vainement d’intégrer Soglo au contingent des Chefs d’Etats africains françafricains qui s’efforçaient d’entretenir avec lui des relations de bon voisinage comme cela se fait entre dirigeants amis, mais ceux-là étaient «les amis de la France» déjà sélectionnés par Foccart sur la recommandation de Charles de Gaulle dès l’avènement des indépendances africaines y compris l’anglophone Sanni Abacha que F.X. Verschave ne manqua pas de mentionner sur la longue liste qu’il dressa des Françafricains nègres dans son ouvrage sur la vie de cette institution. Pour les élections présidentielles béninoises de 1996, cette dernière déclencha alors la vieille méthode dont elle fait couramment usage en pareille situation, celle de la fraude électorale. Soglo en eut écho dans certains milieux français avant le deuxième tour des élections présidentielles de cette année-là : « Avec 47,7 %, vous demeurez américain ; avec 52,3, vous devenez français ». Sa réaction toute simple : « Nous sommes en démocratie au Bénin. Que les démocrates choisissent eux-mêmes leur président ».

Le résultat qui donnera Kérékou vainqueur des urnes sera exactement proclamé les mêmes Internationale (RFI) et seulement après par la Cour Constitutionnelle béninoise. Ce fut la victoire de J. Chirac et de ses alliés françafricains noirs sur la faillite du système démocratique africain face au défi de sa avait-on tiré de cette cooptation pour le compte de la nation ? La cabale s’était disloquée à cause de la démagogie de ses membres. On s’en doutait d’autant que, comme on l’a déjà dit, on percevait mal l’intérêt national commun qui les unissait tous en même temps alors que les Chefs des partis avaient chacun une approche différente de celle du voisin quant aux solutions apportées aux problèmes politiques qui se posaient au pays et surtout qu’ils considéraient Soglo comme la seule entrave qui leur barrait la route d’accès à la Présidence de la République. Il leur fallait le sortir du jeu électoral pour y parvenir, mais une fois le projet réalisé, l’affaire demeurait coincée dans le sac. Qui pourrait l’en sortir sinon le seul coopté rassembleur que chacun, affectant de servir la nation, encensait alors qu’il plaidait pour sa propre paroisse ? La cooptation balaya leurs ambitions comme un vent violent au souffle de l’orage et il faudrait en mesurer désormais les dégâts.Tout, d’abord Kérékou nomma Adrien Houngbédji Premier ministre chargé de coordonner les relations politiques entre les membres du gouvernement. Une innovation personnelle ? De toutes façons, cette décision vint à contre-courant des
dispositions de la loi fondamentale béninoise adoptée à la Conférence Nationale de 1990 qui prévoit pour les relations entre gouvernants et gouvernés et la bonne marche des institutions républicaines, undécadence.

Ainsi Kérékou venait d’être coopté par la classe politique béninoise entière contre toute attente des observateurs politiques d’Afrique comme de l’étranger qui virent démarrer le Bénin démocratique dans l’espoir d’une réplique ferme et assurée au préjugé chiraquien de sacrer l’Afrique, la terre des hommes noirs, un continent attardé incapable de progrès. Apparemment, il avait gagné son pari avec la complicité déroutante de ses «amis» françafricains nègres. Mais réellement, quels effets bénéfiques le Président de la République et Chef du gouvernement transformait la nature du régime adopté en un régime parlementaire. N’y avait-il pas là ; la remise en cause des travaux si appréciés par le peuple de ladite Conférence Nationale ? Quelle place revenait alors à la démocratie chèrement acquise dans la cooptation d’un candidat aspirant à la magistrature suprême ?
A peine le Premier ministre fut-il investi de ses pouvoirs qu’un imbroglio surprenant gagna les rangs des gouvernants: d’abord ses pairs, anciens membres de la cabale, devenus ministres le rejetèrent : « Nous ne sommes pas nommés par un Premier ministre mais par le Président de la République devant qui nous sommes responsables », puis ce fut le tour du Chef de l’Etat : « Fixez vous-même votre salaire. La constitution ne reconnaît pas l’existence d’un régime parlementaire et partant d’un Premier ministre ». Quelle humiliation ! Les Béninois en avaient pris bonne note et baptisèrent le souffre-douleur du nouveau régime « Premier ministre kpayô », (Premier ministre de pacotille).

Ce trait épisodique de la cooptation de Kérékou revenu au pouvoir ne pouvait se passer de commentaire sans interpeller la conscience politique de ses électeurs. Chez le nouveau Président prévalait une sorte d’ambivalence où se jouait la loi des contraires : d’une part son coup de force à vouloir renier la constitution officiellement proclamée à la Conférence Nationale et reconnue de tous les Béninois pour imposer un Premier Ministre à la nation et d’autre part son revirement, son retour à la case-départ en refusant à son assesseur le salaire auquel ne donne guère droit la loi fondamentale légitimement admise par le peuple. Quelle issue logique donner à ce paradoxe ?
Au départ, Kérékou demeurait fidèle à la ligne politique que la France avait tracée pour le déroulement normal de la Conférence Nationale : elle avait prévu un régime parlementaire qui associerait en bonne composition Kérékou et Houngbédji comme Président et Premier ministre. On en voudrait pour preuve les prospectus distribués aux membres de l’Assemblée de la Conférence dès les premiers jours de leur séance dénonçant la récupération des décisions prises par le trio Jacques Chirac débarquant d’Abidjan à l’issue du Congrès des maires de Bouaké, accompagné de Kérékou et de Houngbédji chez un «marabout» nommé Kitoyi pour préparer leur prochain avènement au pouvoir. C’était l’oeuvre d’un mouvement de jeunes acquis à la cause du peuple béninois.

Or ce programme arrêté par la France ne connut point en 1991 un heureux aboutissement, les Béninois sortant fraîchement d’un rassemblement historique qui posait les bases d’une démocratie à laquelle ils aspiraient de tout coeur dans l’enthousiasme ne pouvaient pas déroger aux principes qui concouraient à sa réussite. En 1996, profitant de la dégradation du climat politique, on appliqua en douceur ce programme. La France souhaitant le retour de Kérékou tout comme les membres de la cabale qui en firent leur «rassembleur», il ne s’ensuivit aucun problème.
Mais le revirement de Kérékou ne lassait de surprendre. Vit-il en son Premier ministre un assistant animé d’une fougue juvénile peu assortie à sa complexion, inexpérimenté et incapable d’assumer valablement les affaires de l’Etat ? En tout cas, en l’obligeant à démissionner, il remporta cette autre paire de manche qui lui permit de s’assurer maître de la situation. On comprend dès lors qu’il pût se vanter en 2001 d’être «le maître» qui savait initier ses élèves en politique.
De son côté, le chef de la cabale bien servi au poste de ministre de la planification qu’il sollicitait de tous ses voeux ne garda pas son portefeuille jusqu’au terme de son mandat étant appelé à offrir ses services au PNUD. Son collaborateur immédiat au sein de son parti reprochait à Kérékou de ne pas «savoir gouverner». Plus tard, à la fin de son dernier mandat-présidentiel, Kérékou entra en conflit ouvert avec son maître à penser, celui-là qui usa de tous les subterfuges pour lui faire reconquérir le pouvoir après les frustrations subies par sa déchéance orchestrée à la Conférence Nationale de 1990. Il le soupçonna de manoeuvres frauduleuses dans le domaine électoral et envoya perquisitionner chez lui aux fins de déceler les traces de preuves compromettantes.On sait qu’en Afrique zone CFA, les élections présidentielles se résolvent sur le terrain et à l’Elysée. Cependant Jacques Chirac n’avait pas gagné la bataille de l’élection de 1996 sur toute la ligne. Il lui avait manqué des points précisément au niveau du duo Kérékou-Houngbédji dont le concert musical n’avait pas fait beaucoup danser les Béninois ni les amuser. Par ailleurs on s’était aperçu qu’il attribua une mauvaise note à un ancien Président francophone à qui il retira la direction de la Francophonie pour la confier à un anglophone qui venait de perdre tout juste son portefeuille au Secrétariat Général de l’O.N.U. Il devait au moins au perdant des applaudissements pour sa prestation à la Conférence de la Francophonie tenue cette année-là à Cotonou. Une énorme frustration à compenser… Aux témoins des coulisses d’en révéler ce confidentiel désagrément ! Il revint enfin au Saint-Siège de mettre en garde le prélat contre l’excès de temporalité qui semblait contraster avec les effluves de la spiritualité reçus du Saint Paraclet.

Le bilan de la cooptation de Kérékou par deux fois à la tête de l’Etat est négatif voire désastreux. « Au terme de son deuxième mandat quinquennal, affirmait sans ambages Mme Adjaï Cica, Responsable de la cellule de la moralisation de la vie publique (CMVP), 95 % des ministres de la République sont corrompus ». Ainsi grâce à son avènement au pouvoir, Kérékou avait-il contribué à légitimer la corruption. Même après l’avoir quitté, il continue de jouir auprès des Béninois du crédit d’un bon gouvernant. Cette entente tacite qui semblait les unir au moment où il exerçait encore, provenait d’un jeu de cache-cache garanti par la corruption comme un subtil contrat d’affairistes. Kérékou savait jouer sur les défaillances des coeurs béninois empreints de facilité et animés du goût du lucre. Ceux-ci adoraient le conserver au pouvoir parce qu’ils voyaient en lui un véritable puits de corruption où ils allaient puiser leurs richesses.

Le Docteur Boni Yayi dans la tourmente d’une cooptation controversée

Sentant proche la fin du régime corrompu de Mathieu Kérékou, les Béninois se livrèrent à des supputations qui pouvaient leur permettre de lui trouver un successeur plus digne que lui et soucieux du développement de leur pays. Mais des nostalgiques invétérés qui l’avaient sacré concierge de la caverne d’Ali-Baba ne souhaitaient guère son départ, aidés en cela par Jacques Chirac qui usa de toutes les manigances pour le maintenir à la tête de l’Etat béninois. Comme il l’avait fait et réussi dans d’autres pays africains, il le poussa à réviser la Constitution béninoise afin de se faire proclamer Président à vie. Là encore, il échoua.

L’occasion parut alors propice de le congédier à la sa retraite politique après avoir laissé à son remplaçant un Bénin exsangue soumis ou même conquis à la pratique de la corruption désormais intégrée aux moeurs béninoises. Quel profil requerrait ce dernier pour qu’il pût l’imiter en tous genres ? Ce fut la question préoccupante des fossoyeurs du pays. C’est alors qu’on vit pointer à l’horizon la silhouette d’un homme de cinquante trois ans. Son nom sur bien des lèvres. Qui ne le connaissait point apprit qu’il s’appelle Thomas Boni Yayi et qu’il s’agissait d’un économiste, ancien Président de la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD) dont le siège est à Lomé (Togo). Coopté par une large majorité de l’opinion publique, l’actuel Président de la République du Bénin fut démocratiquement élu en 2006 à 75 % des suffrages exprimés. Toutes estimations confondues, sa cooptation s’exprima par la popularité qui lui était faite dans l’opinion d’un économiste spécialiste  du développement qui avait su donner à la tête de la BOAD la juste mesure de ses capacités à promouvoir grâce à ses travaux le bien-être des populations de la région Ouest-africaine.

Tout semblait se passer comme si les Béninois étaient résolus à tourner le dos aux errements vicieux du passé pour s’engager dans une ère de redressement moral nouveau. Dans ce cas, l’avait-on mis à l’essai en l’élisant à la magistrature suprême ? A lui d’en donner la mesure de ses moyens. A deux ans près de la fin de son mandat, l’engagement pris en termes de changement devant ses électeurs de réaliser des programmes d’action de développement a-t-il abouti et reçu l’approbation de ces derniers ?

En vérité, on ne doit juger un Chef d’Etat qu’à la fin de l’exercice de son mandat. L’expérience de la cooptation de Mathieu Kérékou paraît si peu concluante qu’on n’est guère tenté d’abuser de la bonne foi d’un peuple en quête de démocratie. C’est ici qu’il y a lieu de montrer la faiblesse du système de cooptation innové par la classe politique qui y trouve le champ d’affrontement des idées pour lui donner une tournure démocratique. Comme on l’a déjà dit, la cooptation n’est pas de la démocratie, c’est une démocratie fantôme (Shadow democracy), disent les Anglo-Saxons. Or voilà que trois ans après son accession à la magistrature suprême, on a déjà trouvé au Docteur Boni yayi un successeur en la personne d’Abdoulaye Bio Tchané, actuel Président de la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD).

Que peut bien vouloir lui reprocher la masse des électeurs qui avait si vivement contribué à l’élire Président ? Peut-être de n’avoir pas réussi à transformer le changement en une baguette magique censée donner au Bénin le visage d’un Eldorado que ses détracteurs contempleraient en un temps record ? Erreur de jugement. Car certains lui contestent laconception des travaux qu’il a réalisés en si peu de temps. Des concepteurs l’avaient déjà précédé et pouvaient en réclamer la paternité. Certes mais que de projets conçus et arrêtés depuis l’accession du Bénin à l’indépendance ! De tous combien ont été franchement concrétisés par nos Présidents des temps passés ? Lui au moins les a tirés du néant, leur a donné une réelle existence.

D’autres essaient d’ironiser : « il en a déjà aux sources de leurs acharnements acerbes sur la personne du dirigeant béninois. Des esprits de bonne foi reconnaissent qu’après un demi-siècle d’indépendance, c’est seulement trois ans après l’accession du Docteur Boni Yayi à la magistrature suprême que le Bénin semble enfin renouer avec le développement. Ceci met en lumière les efforts consentis par ce dernier pour atteindre l’objectif du changement qu’il s’est fixé en arrivant au pouvoir, car ayant hérité trop fait pour qu’on déprécie ce qu’il nous reste encore à accomplir ». Comment se fier à ce genre de sarcasme tissé par des politiciens vivant de chimères et qui veulent construire «leur» Bénin sur la mégalomanie, tellement ils sont si sûrs de traverser sans problème et sans risque le cap des élections pour se consacrer Chefs d’Etat et transformer soudain les misères du peuple en béatitudes ? «C’est à l’oeuvre, dit le dicton, qu’on reconnaît l’artisan».
Des investigations conséquentes mènent d’un trésor public en rupture de liquidité, (à peine 200 millions dans les caisses) il lui fallait recourir à des financements extérieurs pour renflouer ces caisses et normaliser la situation. Des partenaires étrangers ont apporté leur soutien à la politique du changement notamment la Libye et la Chine dont leurs apports non négligeables 120 milliards et 600 milliards lui ont été d’un grand recours pour asseoir efficacement son programme de développement.
Or la bête noire du régime c’est la corruption dont ont hérité les béninois des gouvernements précédents et qui semble d’office inscrite dans les moeurs politiques du pays leur collant à la peau comme de véritables sangsues. Et c’est à ce niveau que Boni Yayi engagera la lutte. Mais force est de constater que sa vision du combat contre la corruption est fort étendue et se situe à une échelle plus élevée que la mission que ses concitoyens lui ont assignée. Face à ses
administrés, le Président veut jouer franc : il décrète l’éradication de la corruption dans la vie des Béninois. A l’opposé, les incorrigibles gouvernés pratiquent le jeu du matamore : ils clament leur foi dans le combat comme pour combler leurs insuffisances, mais en vérité, ils n’y croient point.
Au risque de passer pour le gouvernant naïf qui pense qu’en politique on ne peut jamais exécuter ses décisions à la lettre et même qu’on doit pousser son simplisme à suivre le fil d’ariane nécessaire au dénouement des affaires d’Etat tissé par les groupes de pression, le président met des garde-fous à leurs aspirations corruptrices et à leur convoitise immodérée sources de gain facile. Il tente de contrecarrer ce «mal rétif à tout traitement ordinaire» par des organismes de contrôle comme l’Inspection Générale de l’Etat (IGE), le Réseau Panafricain de la Bonne Gouvernance (REPAG), l’Observatoire de lutte contre la Corruption, des Organisations de la société civile etc.… Et parce qu’il est seul responsable de la souveraineté de la nation devant le peuple avec qui le lie un contrat de confiance morale, il réalise sur lui-même le suprême effort de joindre le geste à la parole afin que la corruption ne soit pas un vain mot. Sans parti-pris, il contraint ses collaborateurs compétents avec qui il s’est lié depuis des années d’amitié, une amitié ferme et sincère à démissionner du gouvernement dès qu’ils s’écartent de la ligne tracée pour son bon fonctionnement. Sans doute leur fierté et leur sens de l’honneur prennent un coup, le choc de se sentir disgraciés devant la dégradation de leur rang social et de leur mission et pourtant c’est un acte de courage que de réussir à se dégager des astreintes qu’une amitié, voire une fraternité de longue date impose à l’homme.

Certes on ne pardonnera pas au Docteur Boni Yayi de ne pas savoir trouver la délicatesse que même les coeurs les plus rudes doivent parfois emprunter dans les situations difficiles pour préparer ses «amis» à comprendre et à accepter les mesures de rigueur qui les frappent, mais nous voici loin du conformisme social tolérant de nos anciens dirigeants qui redoutaient la perte de leurs clients des périodes électorales. Leur mutisme complaisant avait largement encouragé la corruption et favorisé leur retour au pouvoir sans aucune contre partie garantie pour le bonheur de notre peuple et de notre pays. Comment ceux-là, aujourd’hui au rancart, peuvent-ils apprécier la politique austère de leur successeur qui tend à exhiber ou à mettre à nu la passivité coupable qui a retardé la démocratie et le développement béninois ?
La règle du «dout des» : «donne-moi que je te donne» a transformé la vie politique béninoise en un véritable champ de foire économique qu’entretient un contrat d’affairisme dégradant pour nos concitoyens. On se souvient des propos désagréables de cet ancien Président, qui, après sa réélection fit observer à ses supporters qui lui quémandaient discrètement leurs récompenses en termes de nominations ministérielles : « Je ne vous suis redevable en rien. Vous savez bien que si je ne suis pas réélu, vous ferez tous la prison pour détournements ». Et si d’aventure ceux-ci ne couraient aucun risque carcéral, allaient-ils parvenir à concrétiser leur désir ? Ce curieux marchandage montre combien les Béninois s’attachent plus à leurs intérêts personnels qu’à une gestion efficace de la chose publique et comment le fait politique est en voie de dégradation croissante dans leur pays.

Si le Chef de l’Etat béninois n’est pas encore parvenu au terme de son mandat présidentiel, il n’a pas toujours manqué lors des occasions particulières (message de fin d’année, fêtes de l’indépendance… etc.….) de laisser paraître dans ses discours à la nation des allusions aux réalisations de son programme d’action politique et l’oeuvre de redressement qui lui incombe dans l’optique du changement qu’il s’est fixée. Il serait donc excessif voire fastidieux de procéder ici à un recensement exhaustif des travaux effectués en trois ans d’activités sur les cinq que lui concède la Constitution béninoise. Tout le monde voit, tout le monde constate. Seuls les non-voyants sont interdits. Le miracle paraîtrait éloquent d’ouvrir les yeux à un aveugle pour lui permettre de les contempler en une randonnée touristiqueunique. J’oserais si une telle tentative était du ressort des humains. Hélas, je ne le puis ! mais je suis pour le moins convaincu que l’histoire en portera demain témoignage. courage, ferveur, ténacité et résignation, quelle noblesse d’âme d’où s’exalte la grandeur de la patrie !
La cooptation signe-t-elle la fin du régionalisme au Bénin ? La vie politique béninoise est très marquée par le régionalisme, une doctrine qui n’est pas nécessairement professée mais tacitement manifestée dans les faits, les comportements, les propos privilégiant une ethnie au détriment d’une autre. Puisqu’il repose sur des préjugés, il devient un drame lorsqu’il glisse sur le terrain de la politique, le lieu où s’affrontent les idées. Au Bénin, il se situe au niveau d’une opposition, d’un conflit entre deux grandes régions : le Nord et le Sud. Le Nord confiné à l’intérieur des terres n’a pas profité du contact côtier maritime qui constitue un atout de premier ordre au Sud qui a reçu tôt l’influence de la scolarisation et de la culture occidentale. Il s’ensuit que le Nordiste accuse sur plusieurs plans un retard sur le Sudiste. Ainsi arriva-t-il tard sur la scène politique avec Hubert Maga comme Président du Groupement Ethnique du Nord (le GEN).
En vérité, les choses ne se passèrent pas comme on pouvait s’y attendre : le GEN n’entra point d’emblée en conflit ouvert avec l’Union Progressiste Dahoméenne (l’UPD), la seule formation politique de l’époque. Au sein de celle-ci naquit d’abord une opposition de tendance régionaliste entre sudistes et qui disloqua ce parti unique .

Singulière destinée que celle de cet enfant du terroir qui vient ainsi relever des «défis» dont A. Toynbee fait «naître les civilisations» ! Certes diriger un peuple n’est pas une tâche aisée, car gouverner, c’est d’abord prévoir, or on ne peut jamais tout prévoir et s’il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités, celles-ci sont souvent soumises à des contingences imprévisibles. A cet égard, le propos de Saint-Just paraît pertinent : « Quiconque veut gouverner ne peut être innocent ». C’est donc une aberration que de vouloir faire de Boni Yayi une super star ou le chef du choeur des anges du paradis. Mais à en croire les mystiques, chacun de nous a une mission à accomplir et personne d’autre ne l’accomplira à sa place. Que le Chef de l’Etat du Bénin découvre la sienne et se donne les moyens de la remplir avec décidé à combattre avec détermination l’ennemi commun : l’occupant français.

En effet en février 1945, le Conseil exécutif du Comité Central des Organisations électorales du Dahomey plébiscita Sourou Migan Apithy comme candidat aux élections à l’Assemblée constituante. Il fut élu député à l’élection du 10 Novembre 1946 à l’Assemblée Nationale Française. En 1951, l’UPD, la seule formation politique en exercice, proposa la candidature de Justin Ahomadégbé à l’Assemblée Territoriale du Dahomey. Apithy et son groupe porto-novien s’y opposèrent demandant à Ahomadégbé d’aller se faire élire chez lui à Abomey. C’était le réveil de la vieille querelle des Alladahonou, originaires d’Allada, ouroyaume d’Ardres d’où partirent les trois frères en dissensions qui fonderont les Royaumes de Porto-novo, d’Abomey et d’Allada. Les dissidents quittèrent donc l’UPD et créèrent le Parti Républicain du Dahomey (PRD). De là naquit le multipartisme. Il y eut l’Union Démocratique Dahoméenne (UDD) de Justin Ahomadégbé et le parti nordiste présidé par Hubert Maga. C’était le GEN qu’il transforma en RDD (Rassemblement Démocratique Dahoméen). Dès lors la lutte s’engagea entre ces trois partis politiques qui ne disparaîtront définitivement qu’avec l’avènement d’une pseudo-révolution militaro-marxiste. Mais la vie politique béninoise demeure le théâtre d’une opposition farouche entre les deux régions du Nord et du Sud. Chacune d’elles aimerait voir un de ses ressortissants prendre les rênes du pouvoir. Et des observateurs politiques s’amusent à mettre des lorgnons pour surveiller de près l’équilibre recherché par le Chef de l’Etat entre les détenteurs de portefeuilles ministériels au sein de son gouvernement.
Or, depuis près d’une quinzaine d’années que la cooptation a fait irruption sur la scène politique, le mouvement électoral a sombré dans une forme d’unilatéralité affectant l’adhésion volontaire des Sudistes en faveur des cooptés nordistes. En 1996, A. Tévoèdjrè montant la cabale contre Soglo fit de Kérékou un «rassembleur» et même affirma sans ambages : « un Sudiste, quelle que soit son opulence, ne saurait vaincre Soglo ». Cette assertion laissait croire que le Président sortant jouissait avant tout d’une popularité non négligeable dans la masse des électeurs et qu’il fallait les dissuader du soutien qu’ils étaient censés lui apporter. Mais pourquoi cette prédilection accordée à un Nordiste surtout quand on n’ignore pas le climat de mésentente qui préexistait entre les deux régions ? Cette campagne à fond publicitaire néfaste à Soglo, cachait des dessous qu’il était malaisé d’interpréter au risque de sombrer dans des hypothèses hasardeuses et d’aboutir à une impasse. L’auteur de l’allégation en détenait donc seul le profond secret.

Or dix ans plus tard en 2006, Tévoèdjrè récidivait. C’était autour de la tombe de l’ancien Président Sourou Migan Apithy qu’il lancera depuis Porto-Novo l’appel à l’élection de Boni Yayi à la magistrature suprême. Ces déclamations régulières que certains jugeaient opportunistes dénotaient sans doute l’état d’esprit particulier d’un personnage qui semblerait avoir des comptes à régler avec ses compatriotes sudistes. Une limite d’âge l’empêchait d’assumer son ambition d’être le premier magistrat béninois ? Ses vieilles rancoeurs issues du démêlé qui, l’opposant aux membres de son parti «Notre Cause Commune» (NCC), eut en son temps une répercussion judiciaire déplorable dans le pays ? La conviction inébranlable ancrée en lui que les Sudistes sont moins capables que les nordistes de gérer leur pays ? Toutes ces réflexions suffisent-elles à exprimer cette forme d’ambivalence frustrante qui ne trouve sa réelle compensation que dans le soutien inconditionnel qu’il voue aux nordistes ?

Aujourd’hui, Médiateur de la République, collaborateur immédiat de Boni Yayi, souffrira-t-il qu’à deux ans de la fin du mandat du Chef de l’Etat on lui ait déjà trouvé un successeur, un autre Nordiste en la personne d’Abdoulaye Bio Tchané, actuel directeur de la BOAD ? Sa haine du sudiste a fait tâche d’huile. Son principe de cooptation du candidat à l’élection présidentielle qu’il a injecté dans le système politique béninois a fait école au point que Nicéphore Soglo qui en fut victime en 1996 en est devenu un membre adhérent affilié à ses persécuteurs, oh ! pardon, aux disciples d’hier qui poursuivent inlassablement leur chemin vers la conquête du pouvoir.
Le destin qu’assigne la nature à la graine tombée en terre c’est de croître, évoluer pour se transformer en plante. De même l’avenir a besoin du passé comme la plante de sa graine et pour progresser, l’homme doit recourir à son passé. « Les vrais hommes de progrès, comme l’a si bien dit Renan, sont ceux qui ont pour point de départ un respect profond du passé ». La nuance à préciser ici, c’est «le point de départ» et non le passé tel qu’il était vécu revêtu par exemple d’une toge immorale. L’assassin qui veut construire son avenir en recourant à son passé pervers et humiliant demeurera toujours assassin. «Le point de départ» implique ici qu’un tri judicieux s’opère entre les tares de ce passé et la reconstruction d’un monde nouveau sur la base des valeurs morales nécessaires au progrès de l’humanité. Ainsi nous autres Béninois rêvons-nous de démocratie et de développement mais obstinons à ne point nous désolidariser des tares d’un passé compromettant qui nous empêche de réaliser notre magnifique projet. Hélas, prise de conscience morale oblige ! Cessons de feindre en substituant à la démocratie la cooptation pour continuer à gérer de façon imparable dans l’ombre le vice qui ronge notre République : la corruption.

Notre véritable arme de combat, c’est l’éducation et l’Etat doit s’en charger pour éveiller chez la jeunesse montante la conscientisation morale et politique nécessaire à la formation des citoyens de demain. La morale de nos pères se perd dans la nuit des temps. Il faut en prôner lapalingénésie en privilégiant les «lois bonnes» prescrites pour assurer à la société les chances de sa survie en faveur du bien-être des Béninois.

Une anecdote épatante vient illustrer de façon opportune l’étude du présent dossier. C’était au cri de «Kékéréké» poussé par les «Zémidjan», (conducteurs des taxis-motos) que Mathieu Kérékou, candidat coopté, fut élu en 1996. De retour de Paris avant le deuxième tour des élections présidentielles qui l’opposait à Soglo, Kérékou qui y recueillit une manne Juteuse en F CFA la leur distribua en signe de remerciement de leur soutien à sa candidature. Comme ce cri rappelait si bien celui du coq gaulois soigneusement nourri et entretenu par le françafricain Chirac ! Il chantait, bien dressé sur ses ergots, «Kékéréké» à la gloire de la victoire de l’élu prédestiné par la cooptation, mais qui une fois les résultats proclamés, les congédia et leur recommanda de retourner à la terre. C’est ça la cooptation, une démocratie de façade ou pour parler comme les Anglo-saxons, une «shadow democracy», une démocratie fantôme qui se sert malhonnêtement des citoyens d’une nation ou du moins les réduit à de simples instruments électoraux pour assouvir la faim des ambitieux avides du pouvoir. Elle n’est pas conceptrice de bonne gouvernance. Après les cris, les déclamations démagogiques, les querelles intestines ou de clocher… etc.…, c’est le retour à la terre, la mère nourricière. Et ce choix n’était pas aussi mauvais qu’on pourrait le croire, car c’est par la culture de la terre, l’agriculture, objet du secteur primaire que commence même dans l’histoire de l’humanité le développement. Ironie du sort, cette année même, à Accra, Barack H. Obama a dit aux Africains : « le développement dépend de la bonne gouvernance. C’est un ingrédient qui a fait défaut pendant beaucoup trop longtemps, dans beaucoup trop d’endroits ». Et cela est d’autant plus vrai que la démocratie en est le fer de lance. Sans démocratie, il n’y a pas de développement, tous deux restant assujettis à la moralisation consciente de la vie civique. A un père de famille qui interrogeait sur la meilleure manière d’élever moralement son fils, on a répondu : « Fais-en le citoyen d’un Etat dont les lois sont bonnes ».

Cosme Zinsou Quenum

Aimez vous ? Partager:

franck