REALITES AFRICAINES ET CONTRAINTES CULTURELLES

Un pas en avant, deux pas en arrière ! Ainsi évolue à reculons la gouvernance politique et démocratique en Afrique.
La perversité des systèmes politiques dans de nombreux pays engendre des crises aussi complexes que ruineuses, que le continent perd ses ressources à résoudre, au détriment du développement. Pourquoi les choses vont si mal en Afrique ?

Les tensions politiques qui bloquent l’avancée du continent africain et causent du tort et désolation aux populations ne sont nullement le fruit du hasard ou d’une quelconque malédiction.Tout simplement, l’Afrique est malade. Le continent est malade de ses hommes politiques et souffre d’un déficit chronique d’évolution des mentalités, des pratiques citoyennes et de réformes politiques et institutionnelles.
La gouvernance politique et la démocratie ne sont pas de vains mots dont on orne les panneaux publicitaires et si habillement les discours de campagne électorale. C’est un comportement que l’on adopte de jour en jour. C’est une attitude de responsabilité envers soi et envers les autres, un amour profond que l’on nourrit pour sa patrie et ses concitoyens, et un élan de voir ensemble dans une communauté de solidarité, de tolérance et de partage. Evidemment, tout le monde proclame « le changement », des dirigeants aux simples citoyens, même ceux qui le disent le jour et le renient la nuit.
Mais, de nombreux handicaps sociologiques, culturels et exogènes bloquent encore l’élan vers la gouvernance politique.
Démocratie et « chefferie traditionnelle »L’alternance politique est l’un des facteurs déterminants de la démocratie. Hélas, en Afrique, des dirigeants assimilent facilement pouvoir politique et chefferie traditionnelle. Comme les rois et les chefs coutumiers n’ont pas de mandats limités ni en nombre, ni en durée, de nombreux dirigeants africains désirent aussi être élus à vie – parce qu’ils sont présidents de la République. Pourquoi un Chef d’Etat est élu pour 4, 5 ou 7 ans alors que le chef du plus petit hameau a un pouvoir à vie ? C’est un fait culturel, mais aussi un frein à la démocratie moderne et à la bonne gouvernance politique.
C’est dans le but de perpétuer leur carrière politique que d’aucuns dirigeants ont entrepris de modifier les Constitutions élaborées au temps fort du renouveau démocratique des années 90 et qui limitent raisonnablement les mandats présidentiels
En Avril 2008, c’est au Cameroun qu’une réforme controversée de la Loi fondamentale permettant au président Paul Biya, 75 ans, au pouvoir depuis 1982, de briguer un nouveau mandat en 2011, a provoqué un tollé général.
Quelques semaines plus tard, le président Abdoulaye Wade du Sénégal fait voter par l’Assemblée Nationale une loi prolongeant le mandat présidentiel de 5 à 7 ans. De nombreux autres pays comme le Tchad, le Gabon, la Centrafrique etc ont eux aussi modifié leurs Constitutions pour permettre aux dirigeants en place de se maintenir au pouvoir ; mais la forme la plus pernicieuse de s’accrocher au pouvoir est la fraude électorale, la plus grave plaie à la démocratie et à la gouvernance politique.
A bien observer le paysage politique africain, les pays qui s’enlisent dans des crises à répétitions et dans lesquels la démocratie piétine sont ceux dans lesquels les élections ne sont pas toujours propres, libres, démocratiques et transparentes.
A de rares exceptions près, les périodes électorales sont les plus redoutées dans de nombreux coins du continent, à cause des frustrations et violences que suscitent les fraudes électorales.
Ce qui se passe aujourd’hui Côte d’Ivoire et hier au Kenya n’est ni le premier, ni le dernier acte de la tragédie électorale qui semble spécifique aux pays pauvres, et plus particulièrement à l’Afrique subsaharienne.
Sans une volonté politique de ces dirigeants africains de considérer les mandats électifs comme une mission et non une carrière politique à vie, il leur serait difficile de concevoir et d’assoir dans leur pays un système électoral démocratique dans lequel les fraudes et autres malversations politiques seraient impossibles.Toutefois, si l’alternance politique est déterminante dans la construction d’une société démocratique, elle n’est pas suffisante pour une gouvernance politique viable.

Eviter la démocratiesous tutelle

Construire une démocratie exemplaire dépend d’autres facteurs, non des moindres dont la souveraineté des Etats tants dans le domaine politique, qu’économique et financier. De prime abord, il faut reconnaître que près d’un demi-siècle après les soleils des indépendances, la plupart des Etats africains demeurent reliés à leurs anciens colonisateurs par un obscur cordon ombilical.
Il est temps pour l’Afrique de se débarrasser définitivement des tares de la colonisation, de couper le cordon ombilical qui asservit politiquement et économiquement le continent.
Dans leurs pré-carrés, ces anciens pouvoirs font et défont les régimes, en maintenant au pouvoir, parfois contre la volonté populaire, leurs hommes de main afin de pouvoir continuer à piller les ressources africaines par sociétés multinationales interposées.
Et l’on ne peut plus véritablement parler de démocratie lorsque les dirigeants tirent leur légitimité de l’extérieur plutôt que de leur peuple.
Dans un tel contexte, la corruption est largement utilisée par le protecteur et le protégé qui, forcément deviennent des fossoyeurs de l’économie nationale, comme les récentes révélations de scandales politico-financiers français l’ont prouvé dans le réseau « françafrique ».
Dès lors, il se créé un effet de paternalisme entre l’Etat et le noyau du pouvoir qui en font une gestion personnelle.
L’Etat devient en somme une « propriété » du « père de l’indépendance ou de la nation » qui ne souffrirait pas le martyr de céder une parcelle de son pouvoir. D’où la mise en place de stratégie machiavélique pour traquer les éventuels opposants au régime, ou du moins pour réduire leur champ d’action.
Si au Zimbabwe par exemple, les opposants sont intimidés par la répression, lepouvoir gabonais tente lui, d’enrober les têtes émergentes de l’opposition par des nominations à des postes juteux et par autres avantages sociaux.Dans l’un ou l’autre cas, le résultat est le même : l’opposition affaiblie ne joue plus réellement son rôle de contre-pouvoir et de sentinelle de la démocratie.
A de tels facteurs qui bloquent les avancées politiques en Afrique s’ajoute, à ne pas négliger, le coût financier de la démocratie.
En effet, les finances restent le nerf de la démocratie pour faire tourner l’énorme machine électorale et assurer le fonctionnement des institutions wrépublicaines.Quel pays peut se targuer, en Afrique subsaharienne, d’avoir organisé des élections sans l’apport financier extérieur ?

En République Démocratique du Congo (RDC), les premières élections pluralistes organisées après plus de 40 ans d’indépendance, l’ont été avec l’assistance financière et logistique de la communauté internationale. Les kits informatiques fournis à cette occasion par l’ONU serviront plus tard à l’enregistrement des électeurs togolais dans le cadre de l’organisation des législatives d’Octobre 2007. Ces scrutins togolais, faut-il le rappeler, ont été possibles grâce à la contribution financière et technique de l’ONU, de l’Union Européenne, des Etats-Unis d’Amérique, de la France, d’Allemagne qui ont supporté la grande part des coûts.

Au Benin également, la solidarité internationale a toujours été au rendez-vous pour l’organisation des dernières élections. Ce qui pourtant n’a pas empêché des dysfonctionnements dans la fourniture de matériel électoral à cause des difficultés financières.
En somme, la démocratie et partant la gouvernance politique est une grosse machine budgétivore qui nécessite de gros sous pour la tenue d’élections régulières et efficaces mais aussi pour assurer les émoluments des élus locaux et des représentants des institutions républicaines ainsi que les frais de fonctionnement de ces institutions elles-mêmes.
Or, pour nos pays déjà englués dans l’endettement et des contraintes budgétaires, le coût de la démocratie n’est pas aisé à supporter.
D’où, la démocratie en Afrique est souvent sous tutelle. Le parrainage politique porte quelquefois en lui-même les germes des pratiques anti-démocratiques.
Regardez comment la France est piégée, politiquement et militairement dans le bourbier tchad. Avec plus d’un millier de soldats au Tchad et compte tenu de la survivance d’un certain cordon ombilical colonial, la France n’a d’ autre alternative que de soutenir bec et ongle, et jusqu’au bout le système politique en place à N’djamena.Réinventer la démocratie en Afrique pour un développement durable revient aussi à repenser le facteur ethnique, une autre problématique de la gouvernance politique et économique en Afrique.

L’ethnocentrisme, un couteau à double tranchant

Le facteur ethnique ou tribal est une valeur des sociétés africaines en ce sens qu’il sert de lien, de ciment, de cohésion entre les membres d’une communauté.Malheureusement, cette ‘’solidarité ancestrale de sang’’ se transpose sur le champ politique et fausse un peu le jeu de la démocratie moderne.Dans de nombreux cas, les votes claniques prévalent lors des élections pour le choix des dirigeants et représentants des institutions.Finalement ce n’est plus sur la base de pertinence des programmes de société que les candidats sont choisis mais plutôt par affinité tribale. Ainsi donc, les questions essentielles de la nation sont souvent occultées au profit des intérêts claniques.
Ainsi, massivement élu par les « siens », le dirigeant tentera d’assoir son pouvoir sur les membres de son clan. Par reconnaissance et pour garder son fief électoral bien sûr, mais aussi par devoir moral. En Afrique, l’on appartient d’abord à une ethnie, avant d’être le fils d’une nation et le sang clanique est plus solide et sacré.
Malheureusement, le dirigeant pratique le népotisme en nommant ses parents et proches à des postes et en distribuant des avantages et privilèges à ses protégés.
Dans ce cas de figure, l’administration et les institutions fonctionnent presque toujours mal, à cause du manque de compétence et d’obligation de résultats et de comptes rendus dans la gestion des affaires publiques. C’est en premier lieu la gouvernance politique et le renouveau démocratique tant souhaité par les braves populations qui en pâtissent…
L’Afrique est au tournant décisif de son histoire ; mais les hommes politiques, en tout cas, pour certains, ne travaillent pas véritablement à résoudre les problèmes qui entravent le développement du continent et minent son essor.La mutation démocratique et la bonne gouvernance politique sont les premiers défis à relever….

Kossi Khouto


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